« Sa voix était plus belle encore que le murmure des cascades »

« Sa voix était plus belle encore que le murmure des cascades »

©Patrice Cablat

Pour la Saint Valentin, Outremers360 et Alexandre Juster, chroniqueur Culture & Histoire de l’Océanie, vous emportent dans les lointaines îles du Pacifique, plus précisément à Tahiti, où l’amour de Taruia et Tuihanatahatera, sauvé par le Requin protecteur, unifia les peuples de la vallée et du littoral de Taunoa. Récit…

« Here » en tahitien, « hnoro-n » en nengone, « ofa » en wallisien, « áanímé » en cèmuhî, « hyeewe » en fwâi,…  autant de mots qui se traduisent en français par « amour » et qui servent à déclarer sa flamme en Polynésie française, à Wallis et Futuna ou en Nouvelle-Calédonie.

Comme ailleurs, les histoires d’amour – heureuses ou plus tourmentées – enrichissent la littérature de la région. Il y a la belle Bukuruvi, convoitée par tous les hommes du village Omyuva aux Iles Trobriand en Papouasie – Nouvelle-Guinée. Elle jette son dévolu sur Morevaya, mais mal lui en prend car cet homme l’abandonne quelques années plus tard sur une plage et la remplace par sa première petite amie…

En Nouvelle-Zélande, l’histoire d’amour (qui appartient à la tribu Ngāti Rangiwewehi) entre Hinemoa et de Tutanekai, raconte l’histoire de deux jeunes amants qui finiront par se marier sur les bords du lac Rotorua, alors qu’ils n’appartiennent pas à la même classe sociale.

C'est dans la vallée de Fautaua, au coeur de Tahiti, que le récit de Taruia et Tuihanatahatera commence... ©JuraTahiti

C’est dans la vallée de Fautaua, au coeur de Tahiti, que le récit de Taruia et Tuihanatahatera commence… ©JuraTahiti

La langue tahitienne a, elle aussi, transmis de belles affaires de cœur, attardons nous sur celle-ci qui se déroule sur l’île de Tahiti, dans l’ancien district de Pare, et quelques encablures de l’actuelle Papeete :

« Il y a bien longtemps, un jeune homme, du clan de Rupe, habitait la vallée de Fautaua, située actuellement non loin de Papeete. Il s’appelait Taruia. Il était d’une grande beauté, et vivait caché dans une grotte. A sa naissance, ses parents avaient souhaité le mettre à l’abri, leurs tupuna (leurs ancêtres) les ayant mis en garde : « Un jour des hommes viendront chercher Taruia. Il pourrait alors lui arriver malheur, mettez-le à l’abri ! »

Taruia, fils du clan Rupe, fin chasseur et beau, vivait dans la vallée de Fautaua ©Patrice Cablat

Taruia, fils du clan Rupe, fin chasseur et beau, vivait dans la vallée de Fautaua ©Patrice Cablat

Taruia, non content d’être beau, se révélait être un chasseur hors pair et un plongeur comme il n’en existe pas ailleurs dans tout le district de Pare. Le temps passait, et notre cher Taruia n’avait que pour seule compagnie les cascades de la Fautaua.

Un beau jour, ou plutôt une belle nuit, les étoiles Matarii (les Pléiades) surgirent de l’horizon. C’était alors les prémices de la nouvelle année, de la saison de l’abondance, et l’arii (le chef) Teriitaumatatini décida d’organiser une fête à cette occasion. Il désira avoir pour invité le plus bel homme de ses terres.

Lors d’un songe, il découvrit la cachette de Taruia. Le lendemain, il envoya deux messagers le trouver dans sa grotte pour lui faire part de son invitation. Taruia, enchanté, y répondit favorablement.

Le jour J, pour honorer Teriitaumatatini, Taruia se para de ses plus beaux atouts et, ayant pris avec lui ses armes de cérémonie, il se rendit à Taunoa. A mi-chemin dans la vallée de  Pureora, il rencontra la sœur du roi, la princesse Tuihanatahatera.

Dès le premier regard échangé, ils ressentirent une flamme irradier l’intérieur de leur corps. Elle était si belle, et lui si beau. Mais ce simple guerrier de Rupe ne pouvait pas une seule seconde penser pouvoir épouser cette femme de haut rang. Pourtant, sa voix était plus belle encore que le murmure des cascades.

"Dès le premier regard échangé, ils ressentirent une flamme irradier l’intérieur de leur corps. Elle était si belle, et lui si beau" ©Patrice Cablat

« Dès le premier regard échangé, ils ressentirent une flamme irradier l’intérieur de leur corps. Elle était si belle, et lui si beau » ©Patrice Cablat

Pendant ce temps, quatre messagers que Maui, le dieu de la connaissance n’avait pas gâtés, annoncèrent au roi que sa sœur avait été tuée par un féroce étranger et que celui-ci était au bord de la route. N’avaient-ils pas trouvé sur le bord du chemin des traces de sang. Mais comment pouvaient-ils penser que ce n’était qu’un cochon qui avait été tué à cet endroit. Furieux, le roi les envoya se saisir de l’assassin.

Debout, lance en main, Taruia attendait le passage de la procession. Non loin de lui, la berge était encore maculée du sang provenant des cochons préparés pour la fête.

Arrivés à Pureora, les quatre messagers aperçurent Taruia. Aussitôt il fut soupçonné d’être l’assassin de la princesse Tuihanatahatera. Ils le désarmèrent et le ligotèrent pour le jeter à la mer, car en cette période du lever des Pléiades, il était tabou de tuer un homme sur la terre ferme.

C’est alors qu’un requin vint s’approcher du corps de Taruia qui s’enfonçait dans les abîmes. C’est le tāura (gardien protecteur) de Taruia qui venait le sauver !

Pendant ce temps, Tuihanatahatera, accompagnée de son cortège arriva chez son frère. Surpris de la voir, car la croyant morte, l’arii Teriitaumatatini se rendit compte qu’il fit tuer son invité d’honneur, ce qui est un crime devant les dieux.

©Patrice Cablat

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La princesse, attristée par la mort de Taruia, demanda à être conduite sur le lieu où il fut immergé. Ils n’avaient pourtant échangé qu’un seul regard, mais elle ne pouvait imaginer un seul instant de continuer à vivre sans lui. Elle se précipita dans la mer, laissa glisser son corps au fond et s’allongea auprès de lui. Elle ignorait que le requin, le gardien protecteur de la famille de Taruia était encore là.

Le squale ramena dans sa gueule Taruia et Tuihanatahatera vivants sur la plage de Taunoa. Il leur conseilla de voir l’arii afin de pouvoir concrétiser leur union. Heureux de les voir vivants, la permission de mariage fut accordée et la cérémonie fut célébrée, comme il se doit, durant trois jours et fut répétée de la même façon à Rupe.

Les deux amoureux vécurent dans le bonheur, partageant leur temps entre la population de Pare et celle de Rupe, dans la vallée de Fautaua. Ainsi, l’amour a permis à un simple homme de Rupe de devenir l’époux d’une princesse. »

En Polynésie, le requin est un animal sacré, symbole de protection. Bien loin de l'imaginaire cruel qu'on lui porte aujourd'hui ©Sylvain Girardot

En Polynésie, le requin est un animal sacré, symbole de protection. Bien loin de l’imaginaire cruel qu’on lui porte aujourd’hui ©Sylvain Girardot

 

Dans la commune de Pirae, anciennement appelée "Paré", une fresque rend hommage à l'amour unificateur de Taruia et Tuihanatahatera ©TF

Dans la commune de Pirae, anciennement appelée « Paré », une fresque rend hommage à l’amour unificateur de Taruia et Tuihanatahatera ©TF

 

©Patrice Cablat

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Et bonne Saint Valentin à tous !

Alexandre Juster, Ethno-linguiste, Responsable des Cours de Civilisation polynésienne à la Délégation de la Polynésie française à Paris