Maurice Jallier : La disparition d’un chantre de la culture créole

Maurice Jallier : La disparition d’un chantre de la culture créole

La disparition de Maurice Jallier survenue le week-end dernier à l’âge de 90 ans a suscité de nombreuses réactions et les hommages continuent d’affluer. Ses obsèques auront lieu le vendredi 16 août à Fort-de-France. Retour sur l’extraordinaire carrière de cet infatigable défenseur et chantre de la culture créole.

Il est des hommes qui puisent leur énergie dans une créativité sans cesse renouvelée. Des gens qui, leur vie durant, mettent leur génie créateur au service de la défense du patrimoine culturel et identitaire de leur territoire partout où ils se trouvent. En un mot comme en cent, il est des êtres qui marquent leur temps. Maurice Jallier est incontestablement un de ceux-là.

Un homme qui pendant plus d’un demi-siècle aura marqué de son empreinte la vie culturelle des Antilles. Un homme qui a fait rayonner et résonner à travers le monde la culture créole dans toutes ses dimensions. Bref, un homme « d’initiation, de création voire d’ensemencement », pour paraphraser Césaire.

Ambassadeur de la culture créole

Ambassadeur infatigable de la culture créole, Maurice Jallier a su rendre la culture populaire, mais dans le sens noble de ce terme, c’est-à-dire qu’il a fait en sorte que la culture ne soit pas réservée à quelques-uns, mais l’affaire de tous. Qu’elle puisse pénétrer dans tous les foyers, en la rendant accessible à tous et en la vulgarisant par tous les moyens de communication à sa disposition.

Tour à tour auteur-compositeur, chanteur, homme de théâtre, acteur, musicien multi instrumentiste, écrivain, animateur, Maurice Jallier était un artiste protéiforme. Un génial touche à tout qui a contribué à lancer des artistes aujourd’hui renommés tels Maurice Alcindor ou encore David Martial.

Né en janvier 1929 au Bénin, Maurice Jallier savait conjuguer son esprit universel à la défense du patrimoine culturel créole et possédait plusieurs cordes à son arc. A ses débuts, il a mené de front sa carrière d’artiste à celle de professionnel de la santé en tant que kinésithérapeute. Une carrière qu’il abandonnera à la suite de sa cécité survenue lors d’un accident dans un match de football pour un œil et à cause d’une maladie très courante appelée la rétinite pour l’autre.

La famille « Marsabé », une satire de la société martiniquaise  

Mais au contraire de le diminuer, il fera de son handicap une force créatrice. Outre ses nombreuses compositions parmi lesquelles on peut citer « Lazazou », « Céfilon » ou encore « Mirogréa », il se mue en auteur de pièces de théâtre avec une prédilection pour les comédies, dont la célèbre et l’inénarrable « famille Marsabé », une satire de la société martiniquaise qui raconte les tribulations d’une famille antillaise originaire de la campagne qui reçoit un frère revenant en vacances au pays après 30 ans d’absence avec son épouse « zoreil » (métropolitaine). S’ensuivent quiproquos et situations plus ou moins burlesques ponctués de dialogues savoureux.

Une pièce qui a fait rire des générations d’Antillais et qui a contribué plus encore au succès de son auteur. D’autant que ses saynètes ont fait l’objet de feuilletons radiophoniques dans les années 70 sur l’une des seules radios de l’île de l’époque. Plus tard, il récidivera avec la famille « Zanpanlan »

Car Maurice Jallier avait choisi la dérision et l’humour grinçant quand d’autres choisissent les situations mélodramatiques pour peindre la société antillaise avec ses maux et ses travers. Une peinture sociale qu’il appréhendait avec légèreté certes, mais qui décrivait une réalité profonde.

Père-fondateur du carnaval antillais de Paris

Personnage haut en couleurs et truculent, Maurice Jallier était aussi un précurseur et un homme d’initiatives qui s’était assigné pour mission de promouvoir et de valoriser la culture créole où qu’il se trouve. Une volonté qui l’a amené tout naturellement lors de son séjour à Paris à créer le carnaval antillais de Paris. C’était en 1985.

Pendant presque une décennie, il s’est évertué, parfois contre vents et marées, à développer et à pérenniser ce carnaval qui est devenu aujourd’hui un évènement incontournable ayant les honneurs des Champs-Elysées à Paris considérés comme la plus belle avenue du monde.

Artiste, homme de culture, Maurice Jallier était aussi un homme de communication. Outre ses nombreux ouvrages sur la musique, dont « Zouk à la Marzouk », il a également officié sur les ondes en tant qu’animateur notamment à Tropiques Fm. Une nouvelle manière pour lui de défendre le patrimoine culturel créole, l’oeuvre de sa vie.

Autant dire que sa disparition pendant le week-end a suscité de très nombreuses réactions et que les hommages continuent d’affluer. Outre la grande famille d’artistes qui a déploré la disparition d’une figure tutélaire et emblématique de la culture antillaise, les hommages se sont multipliés, dont ceux de personnalités politiques.

La ministre des outre- mer, Annick Girardin a parlé de « défenseur inlassable du patrimoine culturel antillais à l’international avec notamment la création du groupe Créolita et du célèbre carnaval antillais de Paris », tandis que le député martiniquais, Serge Letchimy a salué « cet homme qui compte dans notre patrimoine » et a souligné son côté « visionnaire et précurseur ».

Maurice Jallier a définitivement « fermé les yeux pour ne pas voir les laideurs de la vie », comme il se complaisait à le dire et même si on a souvent tendance à préférer les requiems aux alléluias en rendant hommage aux artistes morts plutôt que de leur vivant, nul doute que sa disparition laissera un grand vide dans le paysage culturel antillais.

Ses funérailles auront lieu à Fort- de-France le vendredi 16 août.

E.B.