« L’impossible procès », mise en scène par Luc Saint-Eloy : Quand le théâtre se met au service de l’histoire contemporaine de la Guadeloupe à Paris

« L’impossible procès », mise en scène par Luc Saint-Eloy : Quand le théâtre se met au service de l’histoire contemporaine de la Guadeloupe à Paris

Adaptée et mise en scène par le réalisateur guadeloupéen Luc Saint-Eloy sur des textes de Guy Lafages, la pièce de théâtre « L’impossible procès » racontant le procès des 19 militants du GONG devant la cour de sûreté de l’État, avec en toile de fond les évènements de mai 67, sera présentée à Paris du 5 au 28 octobre 2020. L’occasion de revivre une période importante de l’histoire de la Guadeloupe passée sous silence par les autorités et encore traumatique dans la mémoire collective des Guadeloupéens. Détails.

Quand le théâtre se met au service de l’histoire contemporaine. Celle de la Guadeloupe. Car non, ce n’est pas une réécriture de l’histoire, encore moins une uchronie que nous propose le metteur en scène guadeloupéen, Luc Saint-Eloy avec sa pièce « L’impossible procès ». Il s’agit bien d’une reconstitution historique qui se veut la plus fidèle possible et propose de larges extraits des audiences, telles que rapportées dans un des ouvrages de référence « Le procès des Guadeloupéens ».

Quand le théâtre nous permet de revivre une période importante de l’histoire. Celle qui concerne une période trouble et traumatique en Guadeloupe longtemps passée sous silence et refoulée et qui ressurgit à travers cette pièce de théâtre « L’impossible procès » adaptée et mise en scène par Luc Saint-Eloy, par ailleurs directeur du Théâtre de l’Air Nouveau sur des textes de Guy Lafages, d’après les ouvrages « Le procès des Guadeloupéens », « Mé 67 », de
Raymond Gama et Jean-Pierre Sainton, « Bagatelles avant et après » de Félix Rodes et d’autres sources.

En toile de fond les émeutes de mai 1967

Une pièce en forme de « verbatim » inspiré des interventions authentiques prononcées lors du vrai procès qui s’est déroulé du 19 février au 1 mars 1968 avec pour cadre la Cour de sûreté de l’État et pour protagonistes 19 militants du GONG (Groupe d’Organisation nationale de Guadeloupe) – mouvement prônant l’indépendance de la Guadeloupe – accusés « d’atteinte à l’intégrité du territoire national ». Le GONG étant supposé avoir fomenté les émeutes de mai 1967 bien qu’un rapport policier remis en juin 1967 aux autorités, ait clairement écarté cette
hypothèse.

C’est ce procès politique retentissant à l’époque qui a vu des personnalités de renom telles que l’illustre poète et homme politique martiniquais, Aimé Césaire ou encore le célèbre philosophe, Jean-Paul Sartre, défiler à la barre, étant cités comme témoins, qui fait l’objet d’une reconstitution théâtrale aujourd’hui avec en toile de fond les émeutes – d’autres l’ont appelé insurrection – de mai 1967.

Mai 67 est en effet un mois particulièrement tragique pour les Guadeloupéens. Les 26 et27 mai, dans un contexte marqué par une dégradation de la situation économique et sociale, renforcée par des problématiques raciales et géo-politiques, des ouvriers du bâtiment sont mobilisés pour obtenir des augmentations de salaire, mais les manifestations sont réprimées dans le sang. Les forces de l’ordre n’hésitant pas à tirer à balles réelles faisant de nombreux morts, dont des étudiants qui s’étaient mobilisés en signe de solidarité. Jacques Nestor, militant indépendantiste de 26 ans, sera le premier mort identifié.

Devoir de mémoire

Si le bilan officiel fait état de 8 morts, ce chiffre est largement contesté par tous les historiens et les témoins de l’époque. Aujourd’hui, plus de 50 ans après cette tragédie, on parle d’une centaine de morts. Un chiffre qui semble correspondre avec celui avancé (88) par le rapport de la commission indépendante présidée par l’historien Benjamin Stora remis en 2016 à Ericka Bareigts, alors ministre des outre-mer. Un rapport qui semble reconnaître qu’il y a bien eu massacre.

C’est donc aussi ce massacre qu’exhume cette pièce à travers la reconstitution de cet « impossible procès », avec au casting la participation exceptionnelle de Pierre Santini, et de Harry Baltus, Boris Balustre, Isabelle Laporte, Eric Delor, Alex Donote, Théo Dunoyer, Marc- Julien Louka, Yohann Pisiou, Caroline Savard, Ruddy Silaire, Cédric Tuffier… Une reconstitution historique en forme de rappel ou de devoir de mémoire.

Car si ce procès a été à court terme une victoire politique – les accusés ayant tous été acquittés ou ayant récolté une peine avec sursis – il n’aura pas cependant réussi à faire la lumière sur la véritable ampleur et la responsabilité de l’État des massacres perpétrés en mai 67. Cette reconstitution théâtrale sur une période importante de l’histoire de la Guadeloupe passée sous silence par les autorités contribue à lever le voile sur cette chape de plomb trop longtemps occultée et encore traumatique dans la mémoire collective des Guadeloupéens. Après tout, l’oeuvre, théâtrale ou autre, n’est-elle pas « l’exorcisme de l’impuissance » ?

L'impossible porces MERCI

E.B.

« L’impossible procès »
Adaptation et mise en scène Luc Saint-Eloy
Textes de Guy Lafages, d’après le « procès des Guadeloupéens », Editions l’Harmattan
Production : Théâtre de l’Air Nouveau en partenariat avec les Francophonies – Des écritures à la scène
Epée de Bois
Cartoucherie de Vincennes
Route du Champ de manoeuvre
Du 05 au 28 octobre 2020
Du lundi au mercredi : 20h30
Dimanche : 17h