Après le franc succès de la première édition, la série Histoire d’Outre-mer initiée par le groupe Suez revient pour une nouvelle saison. Cette initiative originale du groupe Suez est née d’un constat : l’Histoire de nos outre-mer est encore peu connue alors qu’elle est riche d’engagements extraordinaires mais également de périodes plus douloureuses. Après le Bataillon du Pacifique, Félix Perina en Martinique et les commandos SAS Calédoniens, nous débutons avec Auguste-Robert Plenet, pilote guyanais de la Seconde guerre mondiale.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Guyane, colonie française, vit sous le régime de Vichy et est administrée depuis la Martinique par l’amiral Robert, haut-commissaire de la France aux Antilles et en Guyane. Un certain nombre d’Antillais et de Guyanais quittent leurs pays pour rejoindre les Forces Françaises Libres : c’est le départ en dissidence via Sainte-Lucie ou la Dominique. Une histoire souvent peu connue. En mars 1943, la Guyane se rallie à la France Libre. Parmi les jeunes engagés : Auguste-Robert Plenet, futur « Pilote de l’Empire ».
M. Plenet, vous étiez très jeune lorsque la France a perdu la guerre contre l’Allemagne nazie. En Guyane, vous étiez loin mais qu’avez-vous ressenti ?
« Sur le moment on est patriote, on veut aider un pays qu’on ne connait pas. C’était un devoir pour les Guyanais de défendre le pays. J’ai dû attendre que la Guyane entre en dissidence en mars 1943 pour m’engager officiellement.
Nous avions déjà l’exemple de Félix Eboué, ce grand Guyanais qui avait conduit l’Afrique sur le chemin de la liberté. Désormais, il était devenu, à nos yeux et aux yeux du monde libre, le modèle auquel il fallait s’accrocher.
Nous savions que nos aînés préparaient la dissidence de la colonie. Parmi eux, l’avocat Me Albert Darnal : maire de Cayenne par interim, un homme politique important. Son projet secret : préparer de jeunes guyanais à participer au combat dans une armée d’élite, l’aviation, en qualité de pilotes.Son objectif : promouvoir ses jeunes compatriotes pour les propulser plus tard dans l’élite de la Guyane d’après-guerre.Autour de son fils il a regroupé quelques amis. Son fils est à la base du projet : « On est trop humiliés avec ce régime de Vichy, il faut libérer la France » dit-il.
Il fallait l’autorisation des parents pour pouvoir s’engager car nous étions tous mineurs. Nos parents étaient peu enthousiastes car ils se souvenaient de 1914 et des troupes sénégalaises qu’on envoyait au front sous les balles allemandes.Nous demandons à être affectés dans l’aviation. Notre demande est rejetée car il n’y avait pas d’aviation en Guyane. Nous avons alors obtenu que notre demande soit faite dans l’armée de terre « au titre de l’aviation pour la durée de la guerre » et nous sommes incorporés en octobre 1943.
15 octobre 1943 : départ pour la Martinique
Notre départ est fixé au 15 octobre 1943 : nous embarquons sur le Balata aux Îles du Salut. Avant notre départ, nous avons eu une autorisation de sortie pour dire au revoir à la famille. Mais je dois avouer que nous avons passé peu de temps avec eux et nous avons été accueillis comme des héros par toutes les jeunes filles de Cayenne. Parmi elles, il y en avait une qui pleurait beaucoup et qui était plus triste que les autres : elle avait 13 ans, une demoiselle Prévot. Quand je suis revenu je l’ai épousée, c’est ma femme.
Notre groupe avait composé son « chant du départ » que nous avons entonné en choeur juste avant que le bateau largue ses amarres ».
Vous arrivez en Martinique le 23 octobre 1943 et vous êtes intégrés au Bataillon de Marche des Antilles. Mais votre groupe reçoit un nom de baptême particulier ?
« Nous sommes partis en Martinique pour intégrer le bataillon antillais n°5 en vue d’un départ pour l’Afrique du nord pour compléter le bataillon. Ils n’avaient pas du tout l’intention de nous faire faire de l’aviation.En Martinique nous sommes tombé sur un officier de réserve, Yves Laurent, qui nous a ouvert des portes car il avait des relations puissantes auprès des notables et du ministère. C’est lui qui a eu l’idée de donner un nom à notre groupe et nous sommes ainsi devenus la « Section impériale » au sein du Bataillon.
Nous avons appris le métier de soldat : le maniement d’un fusil, le tir, des exercices de marche, de longs cours d’instruction militaire etc … pendant 3 à 4 mois.
Mars 1944 : départ de la Martinique vers une destination inconnue
Enfin le 12 mars 1944, nous quittons la Martinique sur l’Oregon sans aucune idée de notre destination : Brésil ? Canada ? Afrique du nord ? Etats-Unis ? Après une escale aux Bermudes, notre convoi, fort d’environ 120 bateaux, se remet en route et le 31 mars 1944 nous arrivons à Casablanca. Nous savions par ailleurs que Me Albert Darnal, devenu représentant de la Guyane à l’Assemblée consultative, serait à Alger. Dans les semaines qui suivent, il s’emploie avec notre chef de groupe, Jean Latidine, à tout mettre en oeuvre pour que nous puissions poursuivre notre objectif de devenir pilotes.
Un jour, nous avons enfin reçu un ordre d’affectation dans une école de pilotage. Il y a eu beaucoup d’opposition à notre projet. Il fallait passer 2 visites médicales (française et anglaise). Sur 20 candidats, 11 ont été retenus.
Enfin pilote !
Nous avons eu beaucoup de théorie très peu de pratique. C’était considéré comme une arme de « métropolitain ». On ne voulait pas faire s’exercer les jeunes Guyanais. L’aviation était réservée à « l’élite ».Et c’est grâce à l’obstination de Me Darnal que nous avons pu entrer à l’école de pilotage. J’ai piloté seul après seulement 10 heures de vol. C’était très impressionnant. Le 1er atterrissage n’était pas génial le deuxième était mieux.J’ai été breveté pilote le 4 fév 1945. Quelle fierté de recevoir mon insigne : les ailes qui nous portent, l’étoile qui nous guide et la couronne qui nous attend.
L’activité était risquée car nous volions sur de vieux avions. Les mécaniciens faisaient des miracles pour les faire démarrer. Nous avions le choix entre la formation de pilote de chasse et celle de bombardier. J’ai choisi bombardier et puis on m’a intégré dans la chasse ! On faisait des exercices de voltige, de navigation, de tir, d’identification etc. L’école a duré 4 mois.
Du Maroc au Normandie-Niemen
Nous avons quitté le Maroc pour la France en janvier 1945 et je suis affecté dans la légendaire escadre de chasse Normandie-Niemen basée au Bourget où je devais effectuer mon vol de reconnaissance avec le commandant de La Poype. Au final, je n’ai pas fait la guerre, et c’est mon grand regret. A la fin de la guerre, on nous a remis une veste d’aviateur en souvenir et nous avons été démobilisés.
M. Plenet, vous devez être très fier d’être l’un des premiers pilotes de Guyane. Avez-vous un message à transmettre?
Ma plus grande fierté se vit à travers mon livre, ce serai prétentieux de laisser un message d’une autre façon. J’en profite pour remercier Rodolphe Alexandre, président de l’assemblée de Guyane, pour m’avoir permis de l’éditer. Voir que des Guyanais sont présents dans ce secteur, sur tous les continents, est déjà une grande fierté » .
Le chant du départ des aviateurs guyanais
Guyane de notre jeunesse
Terre aux patientes promesses, avec un élan orgueilleux,
Nous lutterons dans tous les cieux !
Que la France fière de toi,
T’aime encore bien plus qu’autrefois !
Quand nous aurons quitté le merveilleux rivage
De ceux que nous aimons, le bien aimé visage,
Nous ne pleurerons pas, car nous avons la foi !
Allons, camarades, dans l’azur affronter
La grande aventure qui nous a tous tentés !
Allons braver la mort et voguer sur les cimes.
Pour ne redescendre qu’entièrement vainqueurs !
Allons, camarades en choeur,
L’âme débordante d’un idéal sublime !
Ceux qui retourneront vivront pour raconter,
Les terribles combats, la mort en plein ciel,
De ceux que ravira un glorieux trépas !
Que ceux qui ne reviendront pas,
Guyane dans ton coeur, demeurent immortels !!!
Propos recueillis par Titania Redon
Appel à témoignages
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