Histoire & Culture d’Océanie : Les plantes, premières conquérantes des îles du Pacifique par Alexandre Juster

Histoire & Culture d’Océanie : Les plantes, premières conquérantes des îles du Pacifique par Alexandre Juster

Cette semaine, la chronique Histoire & Culture d’Océanie d’Alexandre Juster nous plonge dans les origines, les provenances, les usages et la place des plantes dans les cultures du Pacifique insulaire. De la médecine traditionnelle aux plus élémentaires besoin quotidien, découvrez les liens « extrêmement étroits » qui, en Océanie, unissent l’homme et le végétal.

Bien avant les hommes, les plantes ont été les premières à coloniser les îles du Pacifique. Leur vie a commencé ailleurs, dans le Sud-est asiatique principalement. Emportées par les vents, les oiseaux ou les courants, elles sont venues, audacieuses, conquérir toutes les îles, enchantant par leurs couleurs la stérilité des sols volcaniques. Ainsi, en moins d’un million d’années, pour Tahiti, la nature a condensé l’histoire de la vie.

Le taro, tubercule de la famille des aracées, un aliment basique de l'alimentation polynésienne ©Polynelise.com

Le taro, tubercule de la famille des aracées, un aliment basique de l’alimentation polynésienne ©Polynelise.com

Puis l’homme a suivi le même chemin. Parti de l’Asie du sud-est insulaire, il s’est établi sur toutes les îles océaniennes. Il utilise les plantes depuis lors pour tout un tas d’usages, qu’ils soient alimentaires, tinctoriaux, ornementaux, toxiques et médicinaux..

Dans la littérature orale, les plantes et les hommes sont intimement liés. Dans l’ouest de l’Océanie, en Nouvelle-Calédonie, l’homme est issu des plantes : aux origines du monde, la lune a offert à la mer un gâteau d’igname enveloppé dans des feuilles de taros. Les premiers êtres sont issus de ce geste et ont donné naissance à Téâ Kanaké, le premier homme. Celui-ci, conseillé par les esprits, cultiva l’igname en premier, puis les taros.

Le ùru, ou fruit de l'arbre à pain, a traversé l'Histoire comme les océans, de l'Asie du Sud-est aux Caraïbes ©NancyRoc.com

Le ùru, ou fruit de l’arbre à pain, a traversé l’Histoire comme les océans, de l’Asie du Sud-est aux Caraïbes ©NancyRoc.com

Dans la tradition orale de Polynésie française, c’est le contraire : les plantes sont postérieures aux humains. L’arbre à pain, le ùru en tahitien, est issu de l’homme : le fruit était sa tête, le tronc son corps, les feuilles ses mains. Les àito, arbres de fer (le filao à la Réunion, l’ etreteij à Lifou), naquirent des corps de guerriers, leur sang devint la sève et les cheveux, les feuilles. Par ailleurs, àito signifie également guerrier.

Que ce soit l’homme qui découle du végétal ou l’inverse, leurs liens sont extrêmement étroits et il n’est alors pas étonnant que l’homme utilise les plantes pour se soigner.

La médecine traditionnelle océanienne repose tout aussi bien sur la science que sur les dons d’un guérisseur, où se mêlent principes actifs bien réels et pouvoirs surnaturels. Le pragmatisme et les connaissances empiriques font le reste.

Un àito, ou arbre à fer, au bord du lagon de l'atoll de Anaa ©Tahiti Heritage

Un àito, ou arbre à fer, au bord du lagon de l’atoll de Anaa. Lorsque le vent souffle, le son qu’il provoque sur ses fines feuilles lui donne l’impression de chanter ©Tahiti Heritage

Etre en bonne santé c’est respecter, en Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie française, l’équilibre entre l’homme, ses proches, sa terre, ses ancêtres. La définition de la santé par l’Organisation Mondiale de la Santé est similaire. L’agence de l’ONU la définit en effet comme un état de complet bien être physique psychique, mental et social.

Les maladies peuvent être internes ; dont l’origine est immédiatement identifiable (maladies alimentaires, coup de chaleur, etc.) ou externes ; liées à des comportements sociaux irrespectueux ou encore à des sorts jetés sur les personnes (on parle de boucan en Nouvelle-Calédonie).

La santé, ora en tahitien, c’est-à-dire la vie, est une vision globale et un équilibre. Quand un déséquilibre survient suite à une transgression, il y a maladie, qu’un spécialiste va chasser par des médicaments composés principalement de plantes.

Le Purau tahitien ©Tahiti Heritage

Le Purau tahitien ©Tahiti Heritage

Ainsi, on soigne les conjonctivites, les abcès ou encore les brûlures grâce au purau tahitien, appelé fau aux Marquises. En outre, sa sève cicatrise les plaies. Cet arbre sert décidément à beaucoup de choses, ses fibres sont utilisées pour confectionner les jupes des danseuses.

Le tahinu tahitien, appelé faux-tabac en Nouvelle-Calédonie, est connu depuis des générations pour soigner la ciguatera. Les biologistes de l’IRD et de l’Institut Pasteur de Nouméa en sont arrivés à s’intéresser à cet arbre. Après avoir découvert qu’une de ses molécules, l’acide rosmarinique, contenait le principe actif pour soigner cette maladie tropicale, ils ont déposé un brevet.

Le Tahinu ©DR

Le Tahinu ©DR

L’huile de tāmanu, bien connue en Europe pour ses propriétés anti-inflammatoires et anti-démangeaisons, est utilisée dans le Pacifique depuis des siècles pour traiter les plaies infectées et soulager les sciatiques et rhumatismes.

La médecine traditionnelle est encore bien présente dans les sociétés insulaires océaniennes. A Hawaï et en Nouvelle-Zélande, les médecins occidentaux travaillent désormais avec les médecins traditionnels. En Nouvelle-Calédonie, les « tradipraticiens » se trouvent facilement dans toutes les tribus et leur travail se fait au grand jour. La médecine traditionnelle en Polynésie française reste une pratique intra-familiale. Chaque famille polynésienne possède encore quelque savoir en la matière, véritable héritage familial transmis génération après génération.

Les plantes et arbres cités dans cette chronique :
L’arbre à pain, Altocarpus altilis
L’arbre de fer, Casuarina equisetifolia
Le purau, Hibiscus tiliaceus
Le faux-tabac, Tournefortia argentea
Le tāmanu, Calophylum Inophylum

Le Tamanu, qui offre une huile aux vertus médicinales avérées ©DR

Le Tamanu, qui offre une huile aux vertus médicinales avérées ©DR

Alexandre Juster, Ethno-linguiste, Responsable des Cours de Civilisation polynésienne à la Délégation de la Polynésie française à Paris

Pour en savoir plus :

Jean-Marc Teraituatini PAMBRUN, Nouvelle revue d’ethnopsychiatrie n° 30, pp 105-115, Papeete, Tahiti, 1996
Emmanuel Kasarhérou et alii, Guide des plantes du chemin kanak, ADCK, 1998
Michel AUFRAY, Notes sur les messages végétaux en Océanie, Journal de la Société des Océanistes 114-115, 2002
Annie WALTER, Vincent LEBOT, Jardins d’Océanie, CIRAD, 2004.
Paul PETARD, Quelques plantes utiles de Polynésie française, Haere Pō, 1986