Histoire & Culture d’Océanie: « La dernière étape du peuplement de la planète par l’homme », Alexandre Juster

Histoire & Culture d’Océanie: « La dernière étape du peuplement de la planète par l’homme », Alexandre Juster

L’Océanie représente la dernière étape du peuplement de la planète par l’homme. Ce peuplement s’est fait en deux grands mouvements, le premier concerne l’Australie et la Nouvelle-Guinée, tandis que le second, des milliers d’années plus tard, a pour conséquence la colonisation du sud-ouest du Pacifique.

Autrefois, pendant les périodes de glaciations, le niveau de la mer était bien plus bas qu’aujourd’hui. La dernière glaciation commença il y a 120 000 ans pour se terminer il y a 11 000 ans avec des pics d’intensité il y a 80 000 ans, 60 000 ans et 18 000 ans. Les îles d’Asie du Sud Est comme Sumatra, Bali et Bornéo sont alors reliées au continent et forment une zone continentale que l’on appelle « Sunda ». L’Australie et la Nouvelle-Guinée ne forment qu’une grande île, « Sahul ». Seulement quelques dizaines de kilomètres de mer séparent ces deux zones continentales, que l’homme a dû franchir à bord d’embarcations tel que des radeaux ou des pirogues.

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Plusieurs dates de peuplement du Sahul, et donc de l’Australie et de la Nouvelle-Guinée, sont aujourd’hui retenues par les chercheurs. Si certains d’entre eux évaluent leur arrivée, grâce à la datation au carbone 14, il y a 40 000 ans, d’autres, en étudiant les pollens, estiment que l’Australie fut colonisée il y a 120 000 ans. Les îles Bismarck à l’est de la Papouasie Nouvelle-Guinée ont été quant à elles peuplées il y a 33 000 ans, et l’île Manus, à l’époque séparée du Sahul par un bras de mer de 230 km, fut foulée par les hommes il y a 11 000 ans.

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Ces hommes rencontrent un climat différent de celui d’aujourd’hui : en Nouvelle-Guinée, les glaciers qui sont présents au centre de l’île rendent le climat froid et sec, la végétation tropicale ne s’installa qu’après la fonte de ceux-ci, survenue il y a 15 000 ans, à la fin de la glaciation.

Le niveau des océans remonta, les hommes, en proie à l’insularité, furent peu à peu isolés, même si les Aborigènes du nord de l’Australie eurent de nombreux contacts avec les Papous en passant par le détroit de Torrès, large de 150 km et parsemées de 274 îles qui facilitent la navigation à vue.

Dans le même temps, il y a 6000 ans, des hommes du sud de la Chine vont naviguer jusqu’à Taïwan sans se douter que leurs descendants termineront ce voyage aux confins du Pacifique, cinq millénaires plus tard…

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Les poteries lapita, ainsi que la culture les accompagnant vont suivre les hommes dans leurs migrations et vont être disséminées sur une zone allant de l’est de la Papouasie – Nouvelle-Guinée jusqu’à Fidji, Wallis et Futuna et Samoa en passant par le Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie

En passant par les Philippines, et les îles indonésiennes, ces hommes – les Austronésiens – vont arriver sur les côtes de Nouvelle-Guinée et le nord-ouest des Iles Salomon il y a environ 3500 ans. Ils vont rencontrer les premières populations déjà installées depuis des dizaines de milliers d’années, vont procéder avec elles à d’intenses échanges culturels. Un fort brassage de population va s’opérer. Mais ces Austronésiens ne sont pas seulement des navigateurs et des horticulteurs, mais aussi des potiers. Leurs poteries, poreuses, ne servent pas à la cuisson des aliments mais plus à des rites cérémoniels. En analysant les tessons de ces poteries, les archéologues vont différencier plusieurs aires culturelles, dont celle issue du complexe lapita. Ces poteries lapita, ainsi que la culture les accompagnant vont suivre les hommes dans leurs migrations et vont être disséminées sur une zone allant de l’est de la Papouasie – Nouvelle-Guinée jusqu’à Fidji, Wallis et Futuna et Samoa en passant par le Vanuatu et la Nouvelle-Calédonie. Ces îles, contrairement à l’archipel Bismarck, sont inhabitées. Les Austronésiens, au cours de leurs migrations, emmènent avec eux leur savoir, mais également des plantes et animaux. En cinq siècles, ils atteignent le Samoa, à 4500 kilomètres de leur point de départ.

Poterie Lapita ©

Poterie Lapita ©Stephen Alvarez

Les décors des poteries évoluent avec le temps et selon les groupes d’origine des potiers. Et même si les motifs variaient, la culture lapita était une bien une culture homogène : l’utilisation d’objets de parure, la confection d’hameçon, d’herminettes, les rites funéraires étaient semblables.

Les voyages s’effectuaient à bord de pirogues pouvant transporter une cinquantaine de personnes, des vivres, des animaux et les plantes vivrières à planter sur les nouvelles terres conquises. Les voiles de ces pirogues permettaient de naviguer au près du vent et de remonter ainsi les alizés. En faisant route contre le vent, les migrants savaient qu’en cas d’échec dans la découverte de nouvelles terres, ils pouvaient relativement rapidement revenir à bon port, en profitant cette fois-ci d’un vent arrière.

Les Austronésiens parviennent à Tonga et à Samoa vers l’an 1000 av JC. Mais la prochaine conquête (les îles Marquises) ne se fera que vers 300 après Jésus-Christ. Ainsi, pendant plus de mille ans, ces îles du centre de la Polynésie vont être le berceau de la culture polynésienne. Les hommes vont y développer le tatouage, créer de nouveaux dieux, établir de nouvelles règles sociales – comme le tapu, et abandonner peu à peu l’utilisation de la poterie.

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Pour la prochaine étape, les hommes repartiront vers l’est pour parachever le voyage en atteignant l’Ile de Pâques et sans doute les côtes sud-américaines.

Alexandre Juster, Ethno-linguiste, Responsable des Cours de Civilisation polynésienne à la Délégation de la Polynésie française à Paris

Pour en savoir plus :

Arnaud NOURY, Le Lapita : à l’origine des sociétés d’Océanie, Paris, 2013.

Eric CONTE, Tereraa, voyage et peuplement des îles du Pacifique, Polymages-Scoop, 1992

Pierre-Yves TOULLELAN et Bernard GILLE, De la Conquête à l’exode, Au vent des îles, 1999.