Histoire & Culture d’Océanie : Du continent Austral à l’Océan Pacifique avec Alexandre Juster

Histoire & Culture d’Océanie : Du continent Austral à l’Océan Pacifique avec Alexandre Juster

Les premiers hommes à avoir découvert l’océan Pacifique sont les navigateurs océaniens – aborigènes, papous et austronésiens – qui ont peuplé et colonisé chaque île du Pacifique en commençant il y a 45 000 ans par l’Australie, atteinte par voie maritime. Même si elle formait un ensemble continental émergé avec la Tasmanie et la Papouasie, connu sous le nom de Sahul, son peuplement s’est fait par voie maritime, depuis l’actuelle Indonésie, avec qui le Sahul était séparé par des détroits profonds.

Il y a 5000 ans, le Pacifique fut le lieu d’échanges et d’explorations de populations venues du sud-est asiatique. Grâce à leur pirogues munies de balancier et de voiles pouvant remonter au « près du vent », ces hommes ont pu mener une exploration systématique des îles du Pacifique, de la Papouasie à l’île de Pâques – et même jusqu’aux côtes sud américaines – en passant par Hawaii, au nord et la Nouvelle-Zélande – Aotearoa, au sud.

L’océan Pacifique est re-découvert par les Européens le 25 septembre 1513. Le conquistador espagnol Vasco Núñez de Balboa arrive, après avoir traversé la cordillère panaméenne, en vue de cet océan encore inconnu des Européens. Cette expédition de 110 jours de marche se faisant vers le sud, il baptise cette mer « la mer du Sud », dont il prend possession au nom des souverains de Castille. L’impression d’Amerigo Vespucci (qui pensait que l’Amérique était un nouveau continent) se concrétise alors : par sa découverte, Balboa démontre que les terres découvertes par Christophe Colomb constituent bien un Nouveau Monde, séparé de l’Asie par un grand océan.

Planisphère d'Ortelius, 1570

Planisphère d’Ortelius, 1570

En 1520, Magellan et son équipage sont les premiers Européens à y naviguer, de la Terre de Feu aux Iles Mariannes. Cette traversée se faisant sans encombre et sans gros temps, il rebaptise cette mer du Sud « océan Pacifique ». Par chance, il n’y eu que 9 décès lors des trois mois de traversée, et malgré la quantité d’îles qui parsèment cet océan, il n’en relève seulement que deux – des atolls – avant de débarquer aux Mariannes : Puka-Puka aux Tuamotu et l’île du Millénaire au Kiribati.

Les voyages ultérieurs vont servir à l’exploration de cet océan. Les Espagnols sont les premiers, pendant tout le XVIe siècle. Ils partent de Callao, au Pérou. Au XVIIe siècle, c’est au tour des Hollandais, depuis Batavia, à Java, suivis par les Anglais et les Français.

Alors que les Espagnols sont les premiers à naviguer dans le Pacifique sud, ils n’aperçoivent que peu de terres nouvelles à leurs yeux. Partant de Callao, ils naviguent le long du 15è parallèle. C’est ainsi qu’ils ne découvrent, comme archipel polynésien important, que le groupe sud des Marquises. A l’inverse, les Hollandais, qui partent de leur colonie de Batavia qu’ils ont fondée à Java en 1619, ou les Anglais, comme James Cook, arrivent le plus souvent par l’ouest et remontent alors vers le Tropique du Capricorne en rencontrant des îles et leurs habitants.

Le XVIe siècle est dominé dans le Pacifique par les Espagnols, mais dans le sud du Pacifique, ils ne rencontrent que peu de terres, hormis les Marquises du Sud, quelques îles en Mélanésie ainsi que des atolls sans importance pour eux car dépourvus de source d’eau douce ou de passes. Une image d’ensemble assez négative en somme…

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Le XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle sont l’âge d’or des Hollandais. Le bilan de leur explorations est très important : Lemaire et Schouten contournent en 1615 la Terre de Feu, découvrent le Cap Horn tandis que de 1642 à 1643, Abel Tasman fait le tour de l’Australie, baptisée « Nouvelle-Hollande ». Ainsi, à l’ouest comme à l’est, l’océan Pacifique est perçu comme ouvert, en continuité avec l’océan Indien et Atlantique.
Toutes ces expéditions n’ont qu’un but, découvrir le supposé continent austral. Depuis l’Antiquité, on pense que l’axe du monde est l’équateur et que son équilibre nécessite de part et d’autre d’importantes masses continentales de poids équivalent. Toutes les îles découvertes sont appréhendées comme étant les prémices de ce continent, telles les Antilles pour l’Amérique ou les îles méditerranéennes pour l’Afrique.

Surville et Cook, en descendant très au sud, apportent la preuve que ce continent, s’il existe, n’est pas massif. En 1769 d’abord, de Surville traverse le Pacifique d’ouest en est entre le 35° et le 42° de latitude sud sans rencontrer de terre. Puis Cook en 1770 fait le tour de la Nouvelle-Zélande, prouvant son caractère insulaire, et Aotearoa n’est donc plus, comme on le pensait depuis l’époque hollandaise, la péninsule de ce continent.

En 1772, Cook part pour son second voyage, avec pour instruction de l’Amirauté britannique de régler définitivement la question du continent austral. Il réalise, pour cela, le premier tour polaire du globe, en navigant entre les 50° et 60° parallèles. Après avoir atteint en février 1774 la banquise par 71° de latitude, il met un terme à plusieurs siècles de spéculations géographiques. Le Pacifique Sud est exclusivement une surface océanienne dont l’insularité est née, paradoxalement, d’un malentendu continental séculaire.

1000px-James_Cook-fr.svg Bertrand Imbert et Claude Lorius, Le grand défi des pôles, Découvertes Gallimard, série histoire, 1987,

Le continent austral va donc s’effacer des mappemondes, avant que certains pseudo-scientifiques proposent, au début du siècle dernier, que les îles océaniennes sont les sommets émergés d’un continent englouti. Cette idée est reprise et va être largement diffusée auprès des amateurs de de science-fiction par des auteurs comme Churchward en 1931 dans son ouvrage « Mu, le continent perdu». Pour eux, les navigateurs européens sont seulement arrivés trop tard, après la catastrophe géologique ayant englouti ce continent. La théorie antique de l’équilibre des masses continentales était bonne, même si la théorie des plaques et les sondages sous-marins ont prouvé que le fond de l’océan n’était pas continental !

Alexandre Juster, Ethno-linguiste, Responsable des Cours de Civilisation polynésienne à la Délégation de la Polynésie française à Paris

Pour en savoir plus :

Jean-Jo SCEMLA, Le voyage en Polynésie, anthologie des voyageurs occidentaux de Cook à Segalen, éditions Robert Laffont, 1994.
James CHURCHWARD, Mu, le continent perdu, Editions J’ai lu, 1970
Etienne TAILLEMITE, Bougainville et ses compagnons autour du Monde, Editions de l’Imprimerie nationale, 1977
Jules GARNIER, Voyage autour du monde, Océanie, les Iles des Pins, Loyalty, et Tahiti, Ed. Plon, 1871