« Décoloniser la collection », le colloque de La Colonie qui s’interroge sur les causes et les conséquences de la restitution des objets d’arts

« Décoloniser la collection », le colloque de La Colonie qui s’interroge sur les causes et les conséquences de la restitution des objets d’arts

Des pays d’Afrique, notamment le Bénin, réclament la restitution d’œuvres d’art. Des trésors « pris » à l’époque coloniale, entre autres par la France. Est-il possible de restituer ces œuvres d’art ? Faut-il les rendre partiellement ou totalement ? Les prêter ? Pourquoi ? La Colonie a tenu le 12 septembre dernier  un séminaire expérimental, colloque-agora transversal et transdisciplinaire qui vise à éclairer, dans un moment politique particulier, toute la complexité de cette question.

Ce colloque transversal et trans-disciplinaire n’avait pas pour but de juger ni d’incriminer mais d’éclaircir la question de la restitution des objets d’art anciens qui sont dans les musées européens et qui arrivent d’ailleurs.  En préambule, l’artiste et fondateur de La Colonie Kader Attias, n’a pas manqué de rappeler la complexité de la restitution et la nécessité de cartographier cette complexité. « Il faudrait ré-apprendre l’histoire de ces objets d’arts anciens pour leur rendre leur légitimité. La généalogie est fondamentale pour le traitement de cette question historique. Ces objets sont la continuation du corps intellectuel et émotionnel. Seraient-ils ressentis comme un membre fantôme là où ils n’y sont plus? Les objets d’arts anciens ont été pillés et ramenés comme butins de guerre voir même de guerre de religions ».

Si ce sujet a récemment fait surface lors de la récente tournée africaine d’Emmanuel Macron depuis octobre dernier, le débat sur la restitution suite à des pillages, l’appropriation illégal de biens date de 1815. L’UNESCO a déjà procédé à des restitutions. Dans le cadre des discussions tenues au sein du Comité depuis 2006 et des contacts entretenus par ailleurs par les autorités suisses, le Conseil international des musées (ICOM) et le Secrétariat de l’UNESCO avec les parties concernées par ce cas (République Unie de Tanzanie et Musée Barbier-Mueller de Genève), celles-ci sont parvenus à un accord bilatéral.  La cérémonie de restitution a eu lieu sous l’égide de l’ICOM et en présence de l’UNESCO le 10 mai 2010 dans un hôtel parisien.

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Felwine Sarr, expert pour la restitution du patrimoine africain définit la restitution : restituer: ré-instituer dans un milieu originel. Mettre en avant la dimension philosophique, anthropologique et la fonction symbolique; resocialiser les objets. Elle s’est également  penchée sur  la fonction de ces objets et oeuvres une fois restitués. « Ré-inventer les objets? Que faire de ces objets? Les renvoyer dans les villages pour qu’ils reviennent chargés de symbolique, les sacralisés. Ré-inventer l’usage des objets devenus de vrais diasporas. Il faut rendre les objets aux communautés d’où elles viennent, mais est-ce que ces objets vont retrouver leur identité, leur fonction première?

Une idéologie colonialiste sur la perception de ces sculptures

Philippe Dagen, critique d’art, a durant cette session examiné quelques textes publiés en 1894 dans la presse et les revues françaises au sujet des statues royales d’Abomey et d’autres royaumes du Bénin, qui font l’objet de demandes de restitution, afin de montrer les effets de l’idéologie colonialiste sur la perception ou plus encore sur la non perception de ces sculptures.
« Nous pouvons y voir la hiérarchie des races et des cultures qui s’affronte et s’entrelace chez un certain nombre d’auteurs à l’époque des zoos humains en 1893.
Notamment à l’égard de la statue des trois rois et figures anthropomorphes pris à Abomey par la Troupe Dodds lors de la défaite de Béhanzin. Les commentaires qu’on trouve sur ces populations témoignent du mépris, du dénigrement systématique des populations à l’époque. » Commentaire que l’on peut trouver sur ces populations: « tous les jours ils sacrifient des poulets et offrent des grains à d’informes petites statues de bois d’aspect négroides barbouillées de rouge et de bleus ». Les objets sont présentés comme des caricatures, des objets grotesques.Parmi les intervenants à ce colloque, Le Prince Serge Guézo, est venu parler des biens de sa famille, pillés après la guerre coloniale de 1892 et 1894 et emportés d’Abomey. Du rôle primordial qu’à eu le courrier de Sa Majesté Feu le Roi Agoli Agbo d’Abomey, le Roi de Savé Adetutu Onishabé et d’autres membres de familles royales et d’ayants droit, tel que lui même, envoyé au Président de la République du Bénin ou de la France pour réclamer le retour de leurs patrimoines culturels. Des demandes qui furent entendues puisque le Président béninois fit la demande au Président Emmanuel Macron qui accepta de rendre au Bénin ses biens. Une partie de ce patrimoine béninois, la copie du Trône du Roi Guézo et le Trône du roi Adandozan qui se trouvaient au Musée National de Rio, ont disparu dans l’incendie de ce dernier. La demande du retour de ce patrimoine avait aussi été faite à l’Etat brésilien.

Trone du Dahomé perdu

Trone du Dahomé perdu

Une mission pour la restitution des œuvres africaines

Le Président Béninois, Patrice Talon vient de mettre en place un comité pour la restitution présidé par M. Nouréini Tidjani-Serpos, ex-sous directeur général Afrique de l’UNESCO. Dans le cadre du Plan d’Action du Gouvernement, des Musées aux normes internationales de sécurité requises sont créées au Bénin afin de réceptionner les oeuvres d’art et objets béninois.
En France, le Président de la République a mis en place une place une mission de réflexion sur la restitution du patrimoine africain au continent, confiée à Bénédicte Savoy et Felwine Sarr. Cette  mission a pour objectif de faire l’inventaire des biens culturels qui pourraient être concernés par cette procédure et  s’intéresser aux conditions d’acquisitions de ces œuvres, notamment à l’époque coloniale. Les deux experts doivent rendre leurs premières conclusions d’ici novembre.

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En attendant, pour éviter l’oubli ou des pertes telles que dans les incendies de Rio, pour favoriser le partage de la connaissance au plus grand nombre, Marie-Ange Billot Thébaud et le Prince Serge Guézo mettent en place le E-memoire de l’Humanité. Un site et une application qui présenteront une collection d’oeuvres d’art commentée par les experts du comité de la restitution et des historiens. Ces photos et vidéos seront sur le web et accessible à tous. Les vidéos seront aussi projetés lors du Festival International de Films Itinérant Mémoire de l’Humanité.