Culture: «Music Migrations», une exposition sur l’héritage musical de la Caraïbe

Culture: «Music Migrations», une exposition sur l’héritage musical de la Caraïbe

Depuis le 12 mars dernier, le Musée de l’histoire de l’Immigration propose à travers l’exposition «Paris-Londres. Music Migrations», une plongée au sein des différents courants musicaux liés aux flux migratoires dans les capitales française et britannique.
Du rock à l’afrobeat en passant par le reggae, le souk, ou le raï l’exposition explore trois décennies durant lesquelles Paris et Londres sont devenues des capitales multiculturelles.

Habiter le monde avec des sons

Du début des années 1960 à la fin des années 1980, Paris et Londres sont devenues des capitales multiculturelles profondément enrichies par les courants musicaux liés aux flux migratoires. L’exposition Paris-Londres 1962-1989 Music
Migrations au musée de l’Immigration propose un parcours immersif et chronologique pour traverser ces trois décennies décisives de l’histoire musicale de Paris et de Londres. Avec plus de 700 objets exposés et une playlist à faire pâlir d’envie les plus grandes stations de radio, cette exposition est le remède à morosité ambiante.

Lord Kitchenner - London is the place to be

London is the place to be

L’exposition transporte d’emblée le visiteur dans les bas-fonds du Londres du début des 50’s. The war is over ! L’Europe se relève. Il faut reconstruire. Le marché de la main d’œuvre s’ouvre aux premiers migrants issus des anciennes colonies. C’est ainsi que le 21 juin 1948, Lord Kitchener arrive à Londres sur le Windrush, le navire qui reliait Kingston, en Jamaïque au port de Tilbury au Royaume-Uni. Pendant la traversée, il compose le morceau, London is the place to be qu’il chante a capella au micro d’un jeune reporter de la British Pathé qui l’attendait sur le quai.

Après la deuxième Guerre Mondiale, les premiers Antillais britanniques ont pu bénéficier du statut de citoyen du Royaume-Uni et des colonies, qui leur donnait la liberté de circuler dans tout le Commonwealth. Dès 1962, l’immigration des anciennes colonies britanniques est soumise à l’octroi d’un permis de travail. En 1965, 450 000 antillais sont recensés dans tout le pays, 150 000 s’installent à Londres, dans les quartiers d’Islington, North Kensington, Paddington et Brixton, célébrée par The Clash en 1979.

Notting Hill Carnival. 1975 © Chris Steele-Perkins_Magnum Photos

Notting Hill Carnival. 1975 © Chris Steele-Perkins_Magnum Photos

Dès les années 60, Londres vit au rythme du ska. En 1965 le premier groupe multiethnique The Equals, autour de son leader Eddy Grant (originaire du Guyana), cartonne avec son tube Police on My Back, annonciateur des premières tensions raciales dans le royaume dès 1967. « Les Britanniques ont plus valorisé ces musiques, relève Stéphane Malfettes, commissaire général de l’exposition. Dès le début des années 1960, le ska et le rocksteady se sont imposés au-delà de la diaspora jamaïcaine grâce à l’action de Chris Blackwell [le fondateur d’Island Records]. La carrière internationale de Youssou N’Dour et de Salif Keita, qui ont eu une existence de musiciens bien antérieure à leur arrivée à Paris, décollera à partir du moment où ils seront signés, dans les années 1980, sur des labels londoniens. »
En 1972, la sortie du film qui a révélé Jimmy Cliff au grand public, The Harder they come, est un véritable documentaire sur la réalité des ghettos de Kingston et la naissance du reggae. Perry Henzel filme le quotidien des habitants de ces quartiers pauvres pour qui la musique s’impose comme la seule échappatoire.

La montée des inégalités sociales dans le Royaume-Uni préfigure la déferlante punk revendicatrice et anti-raciste. En 1977, Bob Marley écrit la chanson The Punky Reggae Party, en guise de réponse positive à la publication de la version de couverture de «Police and Thieves»de Junior Murvin par le groupe punk anglais The Clash, sur leur premier album . Véritable symbole d’une révolte métissée, The Clash, trace la ligne pour une jeunesse européenne qui veut rompre avec le modèle suranné qu’on lui impose.

Douce France

Paris prend le relais. La musique est un puissant vecteur de revendication. Les événements de la Nuit de la Nation, en 1963, réprimés par le Préfet de police Maurice Papon témoignent de la panique morale qui avait saisit la société française face à la déferlante rock…qu’elle na pas pu juguler.
Le métissage musical débute avant la fin de la guerre d’Algérie, d’abord discrètement dans des petits cabarets de Belleville et de Barbès. En 1959, plusieurs jeunes artistes algériens viennent enregistrer à Paris à la demande de la maison de disques Teppaz. Des noms qui deviendront célèbres par la suite: Hachemi Guerrouabi, Noura, Driassa, Dahmane El Harrachi, Youcef Bjaoui.
Teppaz a constitué durant ces années de guerre en Algérie le plus important catalogue de musique maghrébine, en qualité et en quantité.
Rapidement c’est tout le pays qui vit aux rythmes d’un héritage culturel et musical. Les sources d’expériences vocales sont inépuisables et tellement riche.

En Guadeloupe, en 1966, Fred Aucaros, le guitariste Guy Jacquet et le chanteur Ipomen Léauva, fondent les Vikings de la Guadeloupe inspirés par le jazz, le funk, Elvis Presley. D’abord orchestre de bals, le big band créole signe chez des labels antillais avant de jouer en juin 1970 deux concerts aux Halles de Paris devant 20000 spectateurs. A l’instar de la langue créole, la musique antillaise relève d’un processus de fusion, magistralement représenté par Jacob Desvarieux du groupe Kassav.

A Paris, les années 1980, voit l’émergence d’une société multiculturelle en demande d’une musique à son image. Marche pour l’égalité en 1983, Touche pas à mon pote, Jean-François Bizot, Actuel, Jean-Paul Goude, Radio Nova…Paris devient la scène expérimentale de rythmes affranchis des contraintes sociétales.

Les fils de ceux qui ont du quitter leur patrie avec pour tout bagage la musique ont leur nom en haut de l’affiche. Les Rita Mitsuko, les Négresses vertes, la Mano Négra, Carte de Séjour et sa reprise de Douce France (Chapeau Monsieur Trenet !), tous sont issus de l’immigration, leur emblème, leur fierté. Rachid Taha, franc tireur de la scène musicale française, est le grand absent de cette très belle exposition. Stéphane Malfettes a prévu de « lui rendre hommage en ajoutant une vitrine en septembre ». Sa reprise de Rock the Casbah sur son album Tekitoi, sorti en 2004, était le trait d’union parfait entre Londres et Paris.

Les années 90 marque l’événement du rap en France. Influencé par le jazz, le blues, le reggae le ska et la funk, il occupe tout l’espace musical. En France, le classico NTM – IAM affiche complet. Genre dominant, les musiques urbaines mutent pour prendre la forme de l’afrotrap du parisien MHD. Récemment validé sur les réseaux sociaux par Drake et la Madonne !…

Terreau fertile de la créativité, la musique se nourrit de l’autre, de sa culture, son histoire, ses émotions, ses coutumes. Au-delà du son, c’est la voix de l’autre qui résonne. « Si l’on veut connaître un peuple il faut écouter sa musique », Platon.
A bon entendeur…

Paris-Londres. Music Migrations, 1962-1989
Co-édition du Musée national de l’histoire de l’immigration et de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais, février 2019. Sous la direction d’Angéline Escafré-Dublet, Martin Evans et Stéphane Malfettes. Dans ces deux anciennes métropoles d’empire, les scènes culturelles et artistiques ont été impulsées, irriguées et enrichies par les diverses migrations postcoloniales. Ce catalogue retrace à travers des textes de référence, témoignages et documents iconographiques inédits, l’histoire d’un brassage multiculturel particulièrement fertile, entre singularités, trajets parallèles, regards croisés et points de rencontre.