Nouvelle-Calédonie : Déficit record d’Enercal, situation de crise, répercussions aux acteurs de l'énergie, le point avec son directeur Jean-Gabriel Faget

©Enercal / ACE

Nouvelle-Calédonie : Déficit record d’Enercal, situation de crise, répercussions aux acteurs de l'énergie, le point avec son directeur Jean-Gabriel Faget

Depuis 2013, le déficit d’Enercal se creuse de manière chronique. En cause, le non-versement par le gouvernement calédonien de la « composante de stabilisation » permettant de combler la vente à perte au consommateur, dans le cadre des mesures contre la vie chère. Un peu plus de 10 ans plus tard, dans un contexte inflationniste fort, la situation n’est plus tenable. Focus avec l’interview de Jean-Gabriel Faget, directeur d’Enercal, sur le plateau de nos partenaires de CALEDONIA.

Un déficit chronique, creusé pendant un peu plus de 10 ans, aboutissant aujourd’hui à un record de 13 milliards de Franc CFP (107,5 millions d’euros). La situation du producteur d’électricité calédonien, Enercal, devient de plus en plus difficile à tenir, confronté à des besoins de crédits massifs pour compenser le non-versement de la composante de stabilisation du gouvernement calédonien. Dans les faits, le gouvernement calédonien a demandé à Enercal de vendre son électricité à perte, dans un contexte de vie chère. À titre d’exemple, aujourd’hui, le prix de vente au Kwh est de 35 Fcfp (0,29 cts) alors que son coût réel est de 42 Fcfp (0.35 cts).

En compensation, la Nouvelle-Calédonie devait financer Enercal via une subvention, la composante de stabilisation, permettant de payer cet écart de prix engendré. Or, depuis 2013, le territoire n’a jamais payé cette facture envers Enercal, qui a eu recours à des emprunts privé pour combler le déficit engendré.

En 2022, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, décide d’augmenter le tarif de l’électricité de 11%, dans une volonté de réduire ce déficit, engendré par son non-paiement de la subvention dédiée. Hors, cette année 2022 signe l’éclatement du conflit en Ukraine, qui va fortement impacter le coût du pétrole, et par conséquence, ceux de production d’Enercal. En résulte une hausse de 5 milliards FCFP de déficit pour le producteur d’électricité, portant celui-ci a 15 milliards FCFP, et une prévision de déficit à 18 milliards FCFP (149 millions d’euros) d’ici le mois de juin 2024.

Au micro de nos partenaires de CALEDONIA, Jean-Gabriel Faget, directeur d’Enercal, revient sur le contexte de cette dette :
« C’est une volonté des gouvernements successifs de ne pas répercuter l’intégralité du coût de l’électricité, de préserver le pouvoir d’achat, dans un contexte de vie chère, et c’est le fond du problème. On ne parle d’ailleurs pas de dette d’Enercal, mais de dette de la Nouvelle-Calédonie envers Enercal (…) C’est Enercal qui a été la banque du système et qui a eu recours à un endettement massif. On s’est endetté auprès des banques pour compenser ce qui n’a pas été versé par la Nouvelle-Calédonie ».

La situation a été identifiée et des mesures ont été prises en interne, mais elles ne pouvaient pas combler ce niveau de déficit chronique, explique Jean-Gabriel Faget : « Les alertes ont été faites, les mesures qu’on pouvait prendre à notre niveau ont été prises. La performance intrinsèque de l’entreprise, de ses agents les économies qu’on fait depuis des années, ont permis de rassurer les banques et d’avoir accès à des prêts, qui ont permis de faire fonctionner le système. La difficulté, c’est qu’on arrive au bout de l’exercice aujourd’hui ».

Si la situation est particulièrement difficile aujourd’hui, il reste des solutions, et leur mise en œuvre devient nécessaire pour éviter la catastrophe : « Les solutions sont prévues par les textes qui font fonctionner l’électricité des Calédoniens depuis 2012. Ce sont 3 solutions : le tarif, en application de ce que ça coûte réellement, ou bien le budget de la Nouvelle-Calédonie, et là, on connaît les difficultés actuelles dans laquelle se trouve la Collectivité, ou bien un panaché des deux. Il n’y a pas d’autres solutions aujourd’hui. Il y a évidemment la question de ce que ça coûte. Est-ce que 42 FCFP c’est cher, est-ce que les acteurs, et il y en a à peu près une dizaine dans cette activité, producteurs, transporteurs, distributeurs, est-ce qu’ils sont performants ? La réponse est plutôt oui quand on se compare à d’autres îles, l’électricité n’est pas chère par rapport aux contraintes que l’on a sur une île. La vérité est qu’aujourd’hui l’électricité est un bien qui est cher, y compris d’ailleurs dans des démarches de transitions énergétiques, qui représentent des investissements importants, et on est dans cette phase où l’électricité coûte plus cher, avec encore une fois, un prix qui n’a pas été répercuté au consommateur ».

Dans cette situation, un dernier train de mesures d’urgences sont à nouveau prises du côté d’Enercal, qui risquent d’impacter le service : « Les solutions, elles sont dans un énième, mais dernier tour de vis sur un certain nombre de dépenses qui sont à notre main, avec des effets assez limité puisqu’on est dans une situation de gestion très stricte de nos financements depuis des années, là on procède puis quelques jours, à quelques reports de dépenses, qui ne sont pas forcément sans impacts sur la qualité du service que l’on livre, ou sur la préparation de programme, il va y avoir des impacts visibles à très court terme. La deuxième décision prise par le conseil d’administration, c’est d’engager l’entreprise dans une procédure amiable pour bénéficier d’un appui externe, à la fois pour négocier des délais de paiement auprès de certains de nos fournisseurs, donc là, de façon très claire, on rentre dans une phase où les difficultés de l’électricité en Calédonie, qui se répercutent sur la trésorerie d’Enercal, vont se propager aux autres acteurs de l’électricité (…) on rentre dans une période de grande difficulté ».

La situation n’est plus tenable, et elle requiert des mesures rapides, conclut Jean-Gabriel Faget : « On est malheureusement rattrapé par les chiffres, et il est indispensable que la Nouvelle-Calédonie trouve un financement rapidement, étant donné l’urgence maintenant et l’absence de mesures prises ces derniers temps ». 

Damien Chaillot