La Nouvelle-Calédonie était dans « une situation plus calme » vendredi, selon les autorités locales, à l'exception de quartiers hors de contrôle que l'État va tenter de « reprendre », après quatre nuits de violente contestation contre une réforme électorale votée à Paris. Alors que la nuit tombe à Nouméa, ce vendredi, le couvre-feu a été prolongé sur toute la durée de l’état d’urgence.
« Des renforts vont arriver (...) pour contrôler les zones qui nous ont échappé ces jours derniers, dont le contrôle n'est plus assuré », a déclaré devant la presse à Nouméa Louis Le Franc, Haut-commissaire de la République sur ce territoire français du Pacifique.
Ils doivent permettre de « reconquérir tous les espaces de l'agglomération (de Nouméa) que nous avons perdus, et qu'il nous appartient de reprendre », a-t-il poursuivi. Le représentant de l'État a évoqué « trois zones », des quartiers défavorisés du grand Nouméa peuplés majoritairement d'autochtones : Kaméré, Montravel et une partie de la Vallée du Tir, où des « centaines d'émeutiers » recherchent selon lui « le contact avec les forces de l'ordre » et à poursuivre leurs « exactions ».
Dans un communiqué publié quelques heures auparavant, vendredi matin, le Haut-commissariat s'était voulu plus rassurant. « L'état d'urgence a permis, pour la première fois depuis lundi, de retrouver une situation plus calme et apaisée dans le grand Nouméa, malgré les incendies d'une école et de deux entreprises », affirmait-il.
« Pont aérien »
La nuit de jeudi à vendredi a été « marquée par l'arrivée des renforts envoyés » de l'Hexagone et de Polynésie française, a ajouté la même source. Le gouvernement avait annoncé quelques heures plus tôt l'envoi d'un millier d'effectifs de sécurité intérieure, en plus des 1 700 membres des forces de l'ordre déjà sur place. L'armée s'est également déployée pour sécuriser les ports et l'aéroport du territoire, désormais sous le régime de l'état d'urgence décrété par le gouvernement mercredi soir.
A Nouméa, les pénuries alimentaires provoquent de très longues files d'attente devant les magasins. « En lien avec le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, l'État se mobilise pour apporter le soutien à la population et organiser l'acheminement des produits de première nécessité », a assuré vendredi matin le Haut-commissaire Louis Le Franc. Il a appelé à laisser dégager les grands axes de circulation.
Les autorités préparent un « pont aérien » entre l'Hexagone et l’archipel, séparés de plus de 16 000 km, tandis que l'aéroport de Nouméa reste fermé aux vols commerciaux, isolant par effet domino l’archipel voisin de Wallis et Futuna. L'ensemble des compagnies calédoniennes, domestiques et internationales, sont clouées au sol. AirCalin a annoncé la suspension de ses vols jusqu'au mardi 21 mai.
L'interdiction de rassemblements, de transport d'armes et de vente d'alcool, ainsi que le couvre-feu de 18h à 6h restent en vigueur. Le couvre-feu est d’ailleurs pris dans le cadre de l’état d’urgence, et sur toute la durée de celui-ci. Seules exceptions : les personnels de services publics et « d’activités nocturnes indispensables », et les déplacements liés à des motifs impérieux (urgences médicales, assistance à personnes en danger ou vulnérables et cas de forces majeures).
Un suspect s'est rendu
Louis Le Franc a ajouté qu'un suspect d'homicide s'était « rendu », sans précision sur son identité ni sur l'affaire concernée. « Il y a des affaires beaucoup plus graves qui ont eu lieu, des affaires concernant des assassinats. Donc, un auteur s'est rendu. Les autres, les recherches sont lancées », a précisé le représentant de l'État. Cinq personnes sont mortes depuis le début des émeutes lundi : deux hommes de 20 et 36 ans, une adolescente de 17 ans et deux gendarmes.
Le premier, âgé de 22 ans, avait été atteint d'une balle dans la tête mercredi. Le second, âgé de 45 ans, a été victime d'un « tir accidentel » jeudi matin, selon le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin. Depuis Paris jeudi matin, il avait aussi annoncé l’interpellation de « la personne responsable des deux morts kanak ». « La police est là pour arrêter tous les tueurs, les gens qui assassinent. »
La situation sur l'archipel « reste très tendue, avec des pillages, des émeutes, des incendies, des agressions qui sont évidemment insupportables et inqualifiables », avait estimé Gabriel Attal jeudi après-midi (heure de Paris). Le chef du gouvernement avait indiqué qu' « une circulaire pénale » serait publiée par le garde des Sceaux pour « garantir les sanctions les plus lourdes contre les émeutiers et les pillards ».
Nouvelle tentative de dialogue
Gabriel Attal va recevoir à Matignon, avec Gérald Darmanin vendredi à 18h30 heure de Paris, les présidents des deux assemblées (Sénat et Assemblée nationale) et les comités de liaison parlementaires sur la Nouvelle-Calédonie pour un « échange » sur la crise. Ce vendredi matin, le chef du gouvernement a présidé une troisième cellule interministérielle de crise. Enfin, après l'échec d'une tentative de visioconférence entre le président Emmanuel Macron et des élus calédoniens « ne souhaitant pas dialoguer les uns avec les autres pour le moment », selon l'Élysée, ces discussions devraient intervenir vendredi.
Dans l'agglomération de Nouméa, ces dernières nuits, certains riverains ont érigé des barricades de fortune faites de palettes de bois, bidons et autres brouettes, sur lesquelles ils ont planté des drapeaux blancs. Selon Gérald Darmanin, les forces de l'ordre ont procédé à de nombreuses interpellations et « dix leaders mafieux » de la CCAT, la mouvance indépendantiste la plus radicale, ont été assignés à résidence.
Temps de « deuil »
Celle-ci a publié un communiqué vendredi pour demander « à chacun de respecter le temps du deuil », à savoir « un temps d'apaisement pour enrayer l'escalade de la violence ». Gérald Darmanin a par ailleurs dénoncé l'ingérence de l'Azerbaïdjan, où plusieurs leaders indépendantistes calédoniens se sont déplacés ces derniers mois. Des accusations « infondées », selon Bakou. En Nouvelle-Calédonie, le réseau social TikTok, utilisé par les émeutiers, est banni jusqu'à nouvel ordre.
C'est essentiellement l'agglomération de Nouméa qui a été la proie des violences. Les émeutiers « vivent avec le sentiment d'être exclus, la colère, l'échec » et sont « sans conscience politique », a estimé Daniel Goa, le président du parti indépendantiste Union calédonienne (UC). Ces émeutes ont déjà causé pour 200 millions d'euros de dégâts, selon le président de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) locale. Ailleurs en Nouvelle-Calédonie, des mobilisations et manifestations indépendantistes contre le dégel du corps électoral se déroulent sans violence ni heurts.
Pour rappel, les députés ont adopté dans la nuit de mardi à mercredi à Paris la réforme constitutionnelle visant au dégel du corps électoral, qui a mis le feu aux poudres. Ce texte devra encore être voté par les parlementaires réunis en Congrès, sauf si un accord sur un texte global entre indépendantistes et loyalistes intervient avant fin juin. Les partisans de l'indépendance estiment que cette modification risque de réduire leur poids électoral et marginaliser « encore plus le peuple autochtone kanak ».
Avec AFP