Sur l'arène de sable noir, les deux volatiles se tournent autour, bondissant à grands coups d'ailes devant un public bouillonnant, saluant leur ardeur. Tradition ancienne à La Réunion, les combats de coqs attirent toujours, sans faire polémique.
Chaque semaine, l'ambiance est surchauffée dans le "rond de coq" d'Idriss Thomas, au fond d'un parking du quartier de la Rivière des Galets au Port, une ville de l'ouest de l'île. Le propriétaire des lieux, 42 ans, a construit avec son père ce stade couvert aux gradins en bois où ont pris place plus de 200 spectateurs, quasi intégralement des hommes.
Épuisés par plus d'une heure de violents coups de bec, les deux volatiles se font toujours face, hagards. Des plumes volent, chaque coup provoque une clameur. L'une surplombe les autres: "Premier coup de bouton !", s'exclame Jean-Michel Diofliar, suiveur assidu, en faisant référence à l'ergot de l'animal, l'appendice pointu à l'arrière de sa patte.
Dans les gradins, les paris s'enchaînent. "Vingt contre dix pour le rouge !", crie Jean-Michel Diofliar dans le brouhaha. Ici, pas de bookmaker: la parole suffit pour sceller un pari.
Mais les deux coqs sont de force égale et le combat dure: l'un a perdu une partie de son bec, l'autre ne voit plus. Régulièrement, leurs "jockeys" (éleveurs) les séparent pour les hydrater avec une éponge gorgée d'eau. Parfois, ils glissent une plume dans le gosier de leur animal pour enlever du sang.
Les jockeys décident finalement de mettre un terme à la lutte. Match nul: au premier rang, un homme à t-shirt jaune affiche sa satisfaction. Il était un des rares à avoir prévu l'issue: quelques dizaines d'euros lui tombent dans la poche.
Contrairement à de nombreux pays occidentaux, le combat de coqs est légal en France dans les régions où, selon le code pénal, "une tradition ininterrompue peut être établie", ce qui est le cas dans les Hauts-de-France et à La Réunion.
En 2015, le Conseil constitutionnel a en revanche prohibé l'ouverture de nouveaux gallodromes en France, ce que certains contournent à La Réunion en créant des associations Loi 1901 leur permettant d'organiser des combats dans une semi-légalité.
Et la pratique reste active: les dates et lieux des tournois sont connus de tous, certains combats peuvent être diffusés sur internet. Selon Cyril Hoarau, auteur d'un livre sur les combats de coqs à La Réunion, "il y a en moyenne une vingtaine de ronds" sur l'île au gré des ouvertures et fermetures et "à peu près un millier d'éleveurs".
- Pas de lutte à mort -
Spécificité de La Réunion: pas de combat à mort. A la différence d'autres régions du monde, les éleveurs n'équipent pas leurs animaux d'éperons aiguisés qui tuent en quelques minutes.
De quoi évacuer d'un revers de main les accusations de souffrance animale, selon les passionnés. "C'est comme de la boxe! Les combattants de MMA dans les cages se font aussi mal, personne ne dit rien", assène Jean-Michel Diofliar.
Surtout, le combat de coqs a pour ses adeptes un rôle social évident. "Socrate disait que le combat de coqs est une école de la vie", philosophe Cyril Hoarau. "Quand j'avais 20 ans, j'allais trois samedis sur quatre dans les ronds. Je discutais avec des anciens, des gens de tous horizons. Est-ce que j'aurais fait des études et eu un DEA sans ça? Pas sûr...".
"On est mieux ici qu'à boire des bières ou traîner", confirme plus modestement Idriss Thomas. A l'entrée de son rond, une buvette sert des frites et à boire. On peut y acheter de la bière ou du whisky, mais l'alcool ne coule pas à flot.
Cyril Hoarau ajoute que le combat de coqs, selon lui popularisé sur l'île par les "engagés" venus du sud de l'Inde après l'abolition de l'esclavage, "fédère et provoque une synergie magnifique entre les différentes compositions de la population" de La Réunion.
Les défenseurs des animaux, eux, restent discrets et même les écologistes locaux approuvent. "Le combat de coqs à La Réunion est une pratique ancestrale qui renvoie à une tradition", explique Jean-Pierre Marchau, conseiller fédéral EELV, qui s'oppose à l'abolition des combats.
Avec AFP