Nouvelle-Calédonie : Face à la crainte de pénurie alimentaire, la solidarité s’organise

©Baptiste Gouret / Les Nouvelles Calédoniennes

Nouvelle-Calédonie : Face à la crainte de pénurie alimentaire, la solidarité s’organise

« L’agglomération va bientôt manquer de nourriture », a prévenu le haut-commissaire, mercredi. Depuis ce matin, d’immenses files d’attente se forment devant les quelques magasins du Grand Nouméa encore ouverts, mais les étals se vident rapidement. Des initiatives se multiplient pour venir en aide aux plus fragiles, en particulier les bébés et les résidents des maisons de retraite. Reportage de notre partenaire Les Nouvelles Calédoniennes.

Lorsqu’il prend place au bout de la file d’attente, Thibaud ne sait pas exactement ce qu’il vient chercher, dans cette petite supérette de l’entrée de Ouémo. « On verra ce qu’il reste », lâche l’homme de 34 ans, qui habite « tout au bout de la presqu’île ». Devant lui, Marie (prénom d’emprunt) espère trouver « de la farine et des œufs », ingrédients qui lui permettraient « de cuisiner beaucoup de choses ».

Elle ne se fait toutefois pas d’illusion, au regard du nombre de clients qui la précèdent. Depuis jeudi matin, ces scènes s’observent un peu partout dans l’agglomération, aux endroits où les dernières enseignes à avoir échappé aux pillages et aux incendies acceptent d’ouvrir leurs portes pour ravitailler la population.

Au Mont-Dore, une foule de clients s’est précipitée devant le Casino de La Coulée à l’annonce de son ouverture, entre 11h30 et 15 heures. Les consignes de la direction étaient strictes : une entrée par groupe de dix personnes, pas d’alcool ni de cigarette, deux articles par famille de produits maximum… Devant les Halles de Magenta comme au Géant Sainte-Marie, des regroupements de personnes se sont formés dans l’espoir d’une éventuelle ouverture, obligeant la direction à démentir la fausse information : les enseignes du groupe resteront fermées jusqu’à nouvel ordre.

47 conteneurs au port

S’il est donc toujours possible de faire ses courses dans le Grand Nouméa, reste à savoir pour combien de temps encore. « L’agglomération va bientôt manquer de nourriture », avait prévenu le haut-commissaire, mercredi. Dans de nombreux magasins, les étals sont déjà presque vides. « Il n’y a plus de viande, plus de légumes, plus de fruits », constate Benjamin, 43 ans, à la sortie d’une épicerie. À la maison, il se contente désormais de préparer « des repas basiques, à base de pâtes et de riz ». Mais la perspective d’une éventuelle pénurie alimentaire commence à sérieusement le préoccuper.

 « On est cinq à la maison, j’ai mes trois filles à nourrir, donc c’est vrai qu’on y pense. Notre priorité, ça reste la sécurité, mais l’alimentation va devenir un vrai sujet », suppose le père de famille, avant de rejoindre le barrage filtrant mis en place dans son quartier. Lors d'un nouveau point presse, Louis Le Franc a indiqué qu’un bateau transportant 47 conteneurs de produits alimentaires était arrivé au port dans la matinée de jeudi. Un autre de 56 conteneurs (comprenant également des médicaments) doit arriver vendredi. Reste à assurer le transport des denrées jusqu’aux magasins encore intacts.

« Garder cet esprit de solidarité »

En attendant ce réapprovisionnement tant attendu, mais également la libération des axes qui empêchent un certain nombre de Calédoniens de se ravitailler, la solidarité s’organise dans l’agglomération pour venir en aide aux plus fragiles. Hélène et Sébastien, gérants de La baraque du paysan broussard, ont quitté leur exploitation de Tontouta ce matin à bord de leur voiture chargée de fruits et de légumes. Destination : l’Ehpad Les pavillons d’Eugénie, à Païta, bientôt à cours de nourriture.

« On avait beaucoup de récoltes que nous n’avions pas pu livrer à Nouméa vu la situation, donc on voulait que ça serve et ne pas gaspiller », raconte Hélène. Il a toutefois fallu se préparer à un trajet périlleux, notamment le passage par le col de la Pirogue, objet de blocages ces derniers jours. « Sébastien a fait du repérage dans la matinée et on a décidé de partir. »

Arrivés dans le col, les deux exploitants ont pris contact avec les mamans de la tribu pour leur exposer l’objet de leur passage. « Elles ont prévenu les jeunes qui nous ont laissés passer », salue l’exploitante. Le réapprovisionnement de l’Ehpad a été un succès. Les résidents peuvent souffler : ils ont désormais plusieurs jours de repas assurés. « On veut garder cet esprit de solidarité, c’est le seul moyen de s’en sortir tous ensemble », lance Hélène.

Les réseaux pour organiser l’entraide

Sur les réseaux sociaux, les propositions d’aide se sont multipliées toute la journée dans le but de partager les produits de première nécessité, notamment les boîtes de lait infantile dont certains parents commencent à manquer cruellement. Sur un groupe, une internaute a proposé « 3 boîtes de lait qui ne servent pas à mes enfants » aux « mamans en détresse ». Une mère de famille témoigne également de cette entraide : « J’ai pu trouver du lait. Je remercie cette jeune maman qui a pu nous aider ». En échange, « on lui a donné du riz avec quelques yaourts et des compotes ».

Jonathan Duparc, chef à domicile, a également décidé de venir en aide aux personnes dans le besoin en préparant « une grosse marmite de cerf » et en s’installant sur un terrain vague le long de la route de l’Anse-Vata. Pour réitérer l’opération les prochains jours, il a lancé « un appel aux dons à toutes les personnes susceptibles (commerçants, agriculteurs, particuliers…) de fournir des produits frais, surgelés, en boîtes, secs et autres » sur les réseaux sociaux. « C’est le moment pour tous les Calédoniens d’être unis et solidaires, chacun à son niveau ! ». 

Baptiste Gouret pour Les Nouvelles Calédoniennes